Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
12 février 2012 7 12 /02 /février /2012 10:34

Chèvrerie de la Croix de la Grise, 11 février 2012

Diapositive1

Introduction de la journée du 11 février 2012 intitulée "Comment valoriser une agriculture durable" dont les deux intervenants ont été Mme Marjolein Visser (ULB) et M. Nicolas Dendoncker (FUNDP).


Qu’est-ce qu’une agriculture durable ?


Diapositive2
 

Une agriculture est durable si elle ne compromet pas la possibilité des générations futures de cultiver et d’élever ; de produire une alimentation saine dans des conditions économiques, sociales et écologiques sereines.

[NB: cette définition n'est pas officielle, elle est la synthèse de plusieurs idées sur la durabilité que j'ai appliquées au domaine du jour, l'agriculture]

Diapositive3
L’objectif de production que nous devons atteindre ensemble n’est pas de savoir nourrir 20 milliards de personnes dans les dix prochaines années mais d’encore savoir nourrir 9 milliards d’êtres humains en 2050 avec de la nourriture de grande qualité à bas prix.


L’agriculture dite de conservation vise à préserver puis augmenter la résilience (1) et la productivité à long terme des sols, des animaux, des écosystèmes. Elle distingue parmi les intrants, les engrais chimiques du fumier. Tous deux sont des inputs pour les cultures (comme le carburant pour une voiture) mais ils ont des effets à long terme fort différents. Les engrais chimiques sont des « polluants » à long terme, c'est-à-dire qu’ils diminuent la productivité marginale du sol (perturbation de la microbiologie), de l’offre en eau potable (contamination des nappes) et des écosystèmes voisins (entre autres, via l’eutrophisation). Si la productivité de l’offre en eau potable est affectée, cela signifie qu’il faut allouer davantage de ressources (coûts) pour produire la même quantité d’eau potable qu’auparavant. Pour le sol, à l’inverse, le fumier composté non seulement l’enrichira mais le vivifiera : le développement de la vie du sol en augmente la productivité. Il faudra donc moins d’engrais pour produire la même quantité de blé.

Diapositive4

Diapositive5
Cette agriculture est écologiquement intensive. Les deux vecteurs de l’intensification en agriculture sont l’augmentation de la productivité des ressources rares (aujourd’hui l’énergie, les terres arables, …) et l’augmentation de l’utilisation de ressources abondantes, au coût relatif faible (les services écosystémiques). Elle ne vise non plus l’efficacité, c’est-à-dire la maximisation du produit final -sans compter les coûts au sens large, mais l’efficience : le meilleur produit, au moindre coût (2). Les coûts sont de trois catégories : économiques (interventions, intrants achetés, immobilisation du capital, salaires), sociaux (c’est-à-dire qu’ils se mesurent en termes de qualité de vie, d’emploi, de santé publique et des agriculteurs - la santé influence elle-même la productivité du travail) et environnementaux. Pour que le modèle (économique) soit proche de la réalité, il faut absolument prendre en compte le fait que beaucoup de coûts ne sont pas monétarisés voire pas  « monétarisables ».  De plus, nombre d’entre eux, appelés externalités, ne sont pas perçus (internalisés) par l’acteur privé -par ex : la pollution de la nappe phréatique n’est pas perçue par le fermier- et ne sont donc pas pris en compte dans sa dynamique d’autorégulation, d’auto ajustement (feedback) mais produisent néanmoins leurs effets. Les externalités peuvent aussi être positives -par ex : le stockage du CO2 dans le sol des prairies. Comme ce service n’est pas reconnu ni rémunéré (internalisé), il est produit en quantité sub-optimale par les agents.

Diapositive6

Diapositive7
« Consommation et production d’alimentation durable dans un monde aux ressources limitées » (3) , tel était le titre d’un important rapport paru en 2011 à la demande de la Commission Européenne. L’enjeu sociétal est de concevoir la finitude de l’environnement vital et d’apprendre à faire « avec » et non « contre ». Comme évoqué le 14 septembre dernier, l’enjeu est de taille, la rupture culturelle est profonde. Nous cultivons et élevons au sein d’un monde vivant, système écologique, qui a ses règles et qui est peuplé d’interactions entre ses différentes composantes. Nos actions influencent fortement celles-ci et nous devons ménager ce système si nous voulons qu’il perdure, si nous voulons perdurer : l’homme n’est pas « hors-sol », nous sommes pleinement intégrés (qu’on le veuille et qu’on en soit conscient ou non) et donc dépendants de ces écosystèmes pour notre propre santé et pour notre production. Nous vivons dans un monde fini : toute action a un impact. On ne « crache » pas des centaines de milliers de litres de lait dans le ciel, ils s’en vont quelque part, … Nous devons donc regarder plus loin que le seul chiffre au compteur. Nous ne sommes pas les seuls à savoir produire, beaucoup d’autres demandent à pouvoir le faire : 500 millions de paysans souffrent aujourd’hui de sous-alimentation chronique dans le monde. 

Diapositive8

Diapositive9
L’agriculteur et les sciences. L’agriculteur est un artisan. Les sciences sont des outils.


L’artisan (figure en sociologie) a la maitrise et la responsabilité de ses outils : il utilise l’un puis l’autre pour façonner son œuvre. Lui sait quand, comment et pourquoi il fait appel tantôt à l’un, tantôt à l’autre : c’est son savoir-faire. Autonomie et responsabilité  individuelles du citoyen sont deux principes fondamentaux de la société moderne.


À l’opposé, l’ouvrier (figure en sociologie, cf. Charlie Chaplin) est soumis à la machine, à ses indications d’utilisation, à son bruit, à son rythme. Sans qualification, il agit sous leur ordre sans savoir le pourquoi de son action. Il obéit scrupuleusement à la tâche décrite sans y réfléchir par lui-même, sans pouvoir y poser un jugement personnel. Aliéné (4) et déresponsabilisé (5), cette condition le rend prêt à tout, même à détruire son environnement vital, à se détruire.


Les filières agricoles ne doivent pas devenir des chaînes de montage où le travail est parcellisé à outrance, vidé de son sens. La machine s’emballe lorsque les sciences s’absolutisent (6), chacune dans leur coin (absolu= sans lien, sans compte à rendre), lorsqu’elles se préoccupent davantage de leur propre expansion que de leur responsabilité, leur mission première en tant que science moderne: la promotion de l’humain.

Diapositive99
Interdisciplinarité rime avec responsabilité. Une journée comme celle d’aujourd’hui a pour mission d’amener les différentes sciences autour de la table pour qu’elles se confrontent, qu’elles débattent avec les acteurs du terrain, qu’elles connaissent leurs limites qui ne sont que des opportunités à saisir. Ensemble, autour de la table, pour faire avancer ce qu’il y a sur la table, pour prendre à bras le corps l’enjeu vital de notre époque : la durabilité économique, sociale et environnementale.

Diapositive999

Vincent Delobel, 2012.


1. = La capacité d'un système à ne pas s'effondrer suite à une perturbation, sa capacité d’adaptation et de survie. L’adaptabilité nécessite la diversité.
2. En d’autres termes, la productivité réelle.

3. “Sustainable food consumption and production in a resource-constrained world”, Erik Mathijs & alii, for the EU Commission. Feb. 2011.

4. = Ne comporte pas en soi sa propre fin, le pourquoi de son action réside à l’extérieur. Par exemple : le pourquoi de l’action de l’esclave réside dans la volonté, les désirs, l’intérêt de son maître (et non le sien). L’aliénation est en nette opposition avec les libertés individuelles caractéristiques de la modernité.
5. (Le conditionnement ou) Les conditions sont telles que l’agent n’internalise (perçoit, supporte) aucun des couts (dommages) que son action provoque. Il ne craint alors pas de la répéter et n’est pas poussé à la modifier.
6. Absolutisation des outils : les moyens deviennent les fins. Il y a perversion quand une science progresse sans que l’objectif (la fin, ici : le progrès humain) ne soit atteint ni visé, quand une science ne vise que sa propre expansion. La science absolue (ex : la théologie au Moyen Âge) est l’opposée de la science moderne et de l’esprit critique.

Partager cet article
Repost0

commentaires

C
Belle définition de l'agriculture durable, si seulement tout le monde pouvait en avoir conscience....à ce rythme la planète ne pourra bientot plus suivre il faut se mettre à raisonner et à adopter un mode de culture plus respectueux de la nature et de l'environnement... les générations à venir ont des questions à se poser.... merci en tous cas pour ces rappels qui permettent à chacun de se remettre en question et de comprendre que la nature doit aussi reprendre ses droits et que la main de l'homme doit se faire plus discrète.
Répondre