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29 avril 2011 5 29 /04 /avril /2011 22:31

Historique de la Chèvrerie, écrit par Francis et Christiane en 1999, deux ans après notre reconversion au BIO alors que nous n'avions pas encore de chèvres mais bien des vaches laitières.

 

Reconversion à l’agriculture biologique

Nous sommes agriculteurs depuis 1982. Notre ferme est exclusivement orientée vers la production laitière. Nous cultivons 24ha, en terrain argileux et relativement accidenté. Nous avons un quota de 250 000l. Toute la culture est donc destinée à l’alimentation de notre troupeau Holstein (35 vaches + élevage).

En 1997, nous nous sommes reconvertis à l’Agriculture Biologique. Pourquoi ? Comment ? Telles sont les questions que vous vous posez certainement… Je vais essayer d’y répondre et, pour bien me faire comprendre, je vais d’abord vous expliquer comment nous travaillons avant notre reconversion.

À l’époque, notre plan de culture s’établissait comme suit : les 24ha se partageaient en 14ha de prairies et 10ha de maïs. Nous achetions des drèches, des sur pressées et, pour compléter la ration, des tourteaux de lin, soja et granulés de luzerne. Autrement dit, nous produisions, au maximum, l’énergie et achetions la protéine. Les vaches étaient majoritairement nourries à l’étable, même l’été. Elles passaient la nuit à l’intérieur, tout le long de l’année.

En 1984, nous nous inscrivons au contrôle laitier. En 1986, la gestion du troupeau (génétique et production) fut confiée au service informatique de l’Association Holstein (Lactoplan). En 1988, nous nous équipons d’un peseur pour les fourrages grossiers et d’un DAC pour la distribution des concentrés. A partir de 1991, nous bénéficions du suivi fécondité (programme GARBO) par l’Université de Liège. En 1995, nous achetons une mélangeuse. Comme vous pouvez vous-mêmes le déduire de ce parcours, l’objectif poursuivi était la performance à tout prix. Chaque vache était poussée à son maximum. Certaines répondaient mieux que d’autres,  mais, finalement, nous nous sommes rendus compte que les derniers litres « arrachés » de gré ou de force coûtaient très chers au portefeuille de l’éleveur et à la santé de l’animal également.

C’était le stress continuel : tout pesé, calculé, minuté. Toujours à l’affût du moindre signe de faiblesse. La seringue à la main et la calculette en tête.

En 1997, nous changeons notre fusil d’épaule et décidons de nous reconvertir à l’agriculture biologique.

Pourquoi ? Sans doute, est-il important de s’asseoir de temps en temps, pour retrouver le bon sens et remettre les pendules à l’heure. Nous remarquons, par exemple, que l’excès d’azote (surtout en ray-grass) était source de problèmes pour les vaches, que la multiplication des traitements médicaux, hormonaux et les ajouts d’enzymes, minéraux de synthèse, etc. dans la ration fragilisaient l’état général des animaux. De plus, ce système de rotation court avec maïs à répétition détériorait la structure du sol.  Celui-ci devenant de plus en plus lourd et compact, nous devions faire appel à un entrepreneur pour labourer ? Le passage de lourds engins n’était pas pour arranger les choses étant donné la nature argileuse du terrain. Le désherbage du maïs devenait de plus en plus compliqué. Certaines plantes devenaient résistantes (morelle noire, liseron,…), d’autres indésirables faisaient leur apparition (panic,…). Il y a 15 ans, un seul traitement à l’atrazine permettait d’avoir un champ propre. Les dernières années, Frontier, Mikado et les autres arrivés en renfort n’étaient quand même plus maîtres de la situation…

Nous nous voyons entraînés dans une spirale infernale qui nous rendait dépendants de toute cette artillerie phytopharmaceutique. Produire, mais… à quel prix ? Empoisonner le monde et, finalement, travailler pour qui ?

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Venons-en maintenant à notre méthode de travail actuelle et abordons tout d’abord le plan de culture. Nous avons supprimé totalement la culture du maïs et l’avons remplacée, en partie par des céréales fourragères à destination du bétail. Nos 24 ha se partagent donc maintenant comme suit : 19ha de prairies (mélange de graminées et de légumineuses) et 5 ha de céréales (triticale, avoine, épeautre et pois). La rotation  s’étale donc sur 4 ans : chaque année, après la moisson, nous réimplantons 5ha de prairies et, en octobre, nous labourons 5 ha de prairies pour ensemencer les céréales. Le mélange prairie comprend une douzaine de variétés : fétuque, fléole, dactyle, ray-grass italien et anglais, 5 variétés de trèfles et de la luzerne. Les trèfles sont choisis en fonction de leurs différences de taille, chacun disposant ainsi d’un bon espace de production et consistant une bonne occupation du sol d’une grande diversité. Ces légumineuses apportent au sol l’azote nécessaire à la croissance des graminées. La potasse et l’acide phosphorique sont amenés, soit par du compost, du fumier ou du lisier dilué et ce, pendant la période qui s’étale d’août à février inclus, c’est -à-dire quand le travail d’assimilation des vers de terre est le plus important dans la couche superficielle du sol.

Pour ce qui est de la culture de céréales : après le labour de la prairie, nous ensemençons direct avec un combiné vibro-semoir, pour maintenir une structure grossière du sol. En effet, ces « grosses mottes » constitueront, pour les jeunes pousses, un abri contre le vent et le froid ; leur érosion lente et continue tout au long de l’hiver empêchera la germination de plantes concurrentes et l’asphyxie du sol.

Quant à la  ration des vaches, nous essayons de produire sur la ferme une alimentation équilibrée et diversifiée et non plus essentiellement énergétique, comme auparavant. Toutes les parcelles de fourrages peuvent être soit pâturées soit fauchées et préfanées, selon le temps et les besoins. Cela nous  permet de fournir aux vaches un « menu » constant tout au long de l’année. En été : jour et hui en prairie et complémentation de céréales. En hiver : 20 à 25kg de préfané enrubanné (à 65% M.S.)+ 3kg de mélange de céréales aplaties + foin et paille à volonté.


CONCLUSIONS

Il est trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur notre mode de production étant donné notre récent passage à l’agriculture biologique. Néanmoins, nous pouvons vous faire part de quelques constatations. Nous remarquons, dés à présent, que le sol devient beaucoup plus facile à travailler. La terre respire, retrouve son aspect d’éponge et est beaucoup plus perméable. Moins d’eau stagnante après les pluies. L’enracinement plus profond des prairies les rend plus résistantes à la sécheresse.

Pour ce qui est de la production de lait, nous assistons à un léger tassement du niveau de production, sans devoir parler véritablement d’une baisse. Après analyse, il apprait que ce tassement est dû plutôt à notre façon de conduire le troupeau qu’au changement d’alimentation des vaches. Notre objectif n’est plus de forcer la vache à nous donner son dernier litre de gré ou de force. Nous visons à maintenir le troupeau dans une bonne vitesse de croisière, en respectant l’étant général des animaux plutôt que la performance individuelle. Nous constatons également une réduction sensible des frais vétérinaires. Diminution du nombre de boiteries dues aux nitrites, diminution des problèmes parasitaires étant donné le renouvellement régulier des prairies par exemple.

Une des difficultés rencontrées lors de notre reconversion fut d’ajuste la taille du troupeau à la norme imposée de 2 UGB/ha. Auparavant, nous élevions systématiquement tous les veaux femelles nés à la ferme. A nous de trouver l’équilibre entre le nombre de vaches et l’élevage afin de produire du lait, assurer la relève et produire un maximum de nourriture nous-mêmes.

Une autre difficulté fut l’isolement et le peu d’encadrement technique. En Belgique, l’agriculture biologique tend à se développer que depuis 3 ou 4 ans et ce, dans la région de Liège et du Luxembourg. Par contre, en France, elle connaît un essor important. Habitant la région frontalière, c’est chez nos amis français que nous avons pu trouver conseils, semences, etc. …

Une troisième difficulté est la valorisation de notre lait en tant que lait biologique. Nous sommes agréés par « bio garantie » depuis juin 1998 et percevons donc, depuis lors, une plus value de 2,4 FB/l, mais notre production n’est jusqu’à présent pas ramassée séparément. En effet, nous fournissons à une laiterie française depuis un certain nombre d’années. Celle-ci a mis en route une filière bio depuis novembre 1999. Quelques légères différences subsistant entre le cahier des charges français et belge l’empêchent de collecter notre lait. Cela devrait se normaliser dans le courant de cette année 2000.


Quels avantages voyons-nous à ce nouveau mode de production ?

Outre l’amélioration de l’état du sol et l’étant sanitaire du bétail tels que nous l’avons expliqués plus haut, la pratique de l’agriculture biologique a complètement modifié l’organisation du travail. Le travail des champs est mieux réparti tout au long de l’année : plu de « gros coups » à la mauvaise saison par exemple. Nous avons également le sentiment d’une plus grande autonomie dans la gestion de la ferme. Cette nouvelle méthode fait davantage appel à l’observation, à l’intuition. Elle accule à repenser les choses par soi-même, plutôt qu’à être des simples exécutants.

Nous travaillons le cœur plus joyeux, nous ne travaillons plus « contre » mais avec -plus en harmonie- nous essayons de sentir les besoins de la terre, des bêtes et ils le rendent, un contact s’est rétabli.

En deux mots, pour terminer, nous voulons dire que, pour nous, l’agriculture biologique c’est d’abord une question de conscience et de bon sens. Peut-être le défi qui s’offre aux agriculteurs d’aujourd’hui est-il de retrouver l’audace de la liberté Si j’ai accepté de vous apporter ce témoignage ce soir, ce n’est certainement pas pour essayer de faire des adeptes. C’est tout simplement pour vous dire que c’est possible…

Francis Delobel, Décembre 1999

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